“— panoramas (ended)”

Bleue ? Rouge ? Bleue ? Rouge ? Bleue ? Rouge ?

Les couleurs en disent parfois plus long que les mots, alors tu t'efforces de bien choisir. Tu te concentre mais au fond t'as juste l'air ridicule avec tes yeux pleins d'espoir quant à ce que t'apportera ce cadeau tombé du ciel. Mais tu t'en fiches. Tu donnerais tout pour te sentir toujours plus aboutie. Tu te demande ce que peux bien te réserver chacune de ces précieuses pilules. L'une des deux peut-elle t'amener ton rêve ? Peut-elle faire de toi une danseuse étoile ? Ou encore t'apporter un savoir si vaste que l'univers en serait jaloux ? Tu envies tant de choses, tu ne sais même plus quoi espérer. Et enfin, tu penses qu'au final, ton destin est déjà tracé et que le hasard fera dans tous les cas son travail. Alors tu fermes tes paupières, tu vides ton esprit et diriges ta main vers la pilule qui l'inspire le plus sur le moment. T'ouvres a nouveau les yeux et sans perdre une minute tu avales cette pilule. Tu y a cru si durement à cette légende urbaine du vendeur de rêves, enfin tu obtenais ce que tu avais espéré. L'espoir, d'ailleurs, tu ne le perdais jamais. Eternelle optimiste de la vie, ta philosophie pourrait se résumer à "hakuna matata". Mais tu es plus sophistiquée que ça, alors on te prête plutôt l'expression "carpe diem quam minimum credula postero", ça change tout.

Comme tu étais déçue lorsque chaque matin, tu ne remarquais aucun changement. Non pas que tu espérais te voir pousser des ailes ou encore savoir marcher sur l'eau du jour au lendemain, mais... presque. Chaque matin, tu te dépêchais de te lever et te prostais alors devant ton miroir, inspectant la moindre partie de ton corps. T'essayais même de résoudre les sudokus niveau expert dans le journal de ton père, mais rien n'y faisait. Au fond de toi t'étais un peu déçue même si tu ne voulais l'avouer.

Quelques jours passent et tu arrêtes de chercher, tu te dis encore une fois que ce qui doit arriver arrivera. Et tu n'avais pas tort, même si tu aurais souhaité le découvrir autrement.

T'étais restée tard ce soir là, à réviser dans une salle de classe non occupée. Tu pensais l'école vide, mais ce n'était pas le cas. Au moment de sortir du bâtiment, tu entends des pas derrière toi et tu flippes. Tu bifurques alors sans réfléchir et t'engouffres dans les couloirs étroits de l'aile scientifique. Les pas se font plus rapides. Les tiens, mais aussi ceux qui te suivent. Sans réfléchir, t'ouvres la porte de l'une des salles et tu réfléchis à un plan. T'as jamais réfléchi aussi vite d'ailleurs. Rapidement tu te rends compte que tu te trouves dans la salle de chimie, jackpot. Tu parcours les paillasses et trouves rapidement ce dont tu as besoin. Un récipient dans lequel tu mets un fond de lessive de soude trouvé dans les placards destinés au personnel d'entretien. La porte de la salle d'à côté s'ouvre, tu n'as plus beaucoup de temps. Enfin, tes yeux rencontrent une étiquette blanche sur un pot : poudre d'aluminium. C'est ce qu'il te faut, tu termines ton mélange et te tapis dans l'ombre. Tu t'efforces de ne pas bouger, ton mélange risque de t'exploser au visage au moindre mouvement de travers. Tu entends la porte et les chaussures grincer sur le sol. Le plus doucement possible, tu sors de ta cachette, comme si tu étais prête à laisser tomber. Tu crois voir un visage masculin sous cette capuche noire, mais tu ne fais plus attention. Tu recules d'un pas, lances ton arme chimique de toutes tes forces et prend la sortie en courant comme si ta vie en dépendait. En fait, c'était le cas. T'entends une petite explosion une fois la porte passée mais tu ne fais plus attention à rien, tu cours et tu continues de courir même une fois sortie de l'école. Tes jambes ne s'arrêtent plus, tes poumons vont exploser. Et puis tu t'effondres, en pleine rue.

(...)

Tes paupières s'ouvrent, douloureusement. Corps engourdi, esprit embué. Tu émerges à nouveau. Tu te sens faible, mais tu te relèves doucement. Tu as perdu toute notion du temps, ton père doit s'inquiéter. Tu as dû perdre ton cellulaire, aussi. Mais tant pis, tu entreprends de rentrer à pieds jusqu'à chez toi. Tu n'as plus que quelques centaines de mètres. Ca te permet de réfléchir à ce qui vient de ce passer. T'as l'impression que c'était pas réel, pourtant t'es bien là en train de marcher, amochée et un peu fébrile. Finalement, tu comprends. T'as jamais été un génie en chimie... jusqu'à aujourd'hui. Un sourire se dessine sur tes fines lèvres. Enfin ! Le mythe du dealer n'en est pas un. Et l'enfant qui sommeille en toi y voit alors une raison de croire encore plus fort à ces comptes de fées par lesquels tu fit bercée dans ta jeunesse.